Burundi - L’application de la loi de 2016 portant réforme du régime des sûretés réelles mobilières : un bilan contrasté

Inspirée par la nécessité de simplifier et d’harmoniser le droit des sûretés, la loi n°1/10 du 12 aout 2016 a tenté d’instaurer un régime unique de sûretés mobilières conventionnelles, à savoir le gage et la réserve de propriété.

A l’heure où il est question d’un rapprochement entre la République du Burundi et l’OHADA, le Ministère de la Justice ayant récemment lancé un appel à candidatures pour la réalisation d’une étude de faisabilité à ce sujet, il a paru opportun de faire le point sur la dernière réforme du droit des sûretés réelles mobilières intervenue par la loi n°1/10 du 12 aout 2016, et de la mettre en perspective avec la réforme de l’acte uniforme sur les sûretés de l’OHADA qui l’a précédée en 2011.

Les objectifs de la réforme des sûretés réelles mobilières

La loi de 2016, qui ne s’inscrit pas dans un processus de codification, pose d’emblée la question de son champ d’application dans le droit positif burundais, et de son articulation avec les dispositions existantes en matière de sûretés réelles qui se répartissent, pour l’essentiel, entre le Code civil et le Code de commerce.

Selon les termes de l’article 1er de la loi de 2016, l’intention du législateur est claire. Tout d’abord, la loi s’applique aux sûretés mobilières conventionnelles. Les sûretés mobilières conventionnelles sont le gage et la réserve de propriété. Ensuite, la loi pose le principe selon lequel « [n]ulle autre opération juridique ayant pour objet ou finalité première la création d’une garantie sur un bien meuble n’est permise ». Enfin, il est précisé à l’article 88 que « toutes dispositions antérieures contraires [à la présente loi] sont abrogées ». Seul le secteur du crédit à la consommation échappe aux prévisions de la loi (article 2).

Entre ces deux dispositions de la loi de 2016, aucun article ne vient faire la liste des textes de loi ou des dispositions en vigueur qui seraient expressément abrogés par la loi (contrairement à la réforme du droit des sûretés mobilières intervenue en 2022 en Mauritanie sur le fondement d’un texte de loi très inspiré de celui en vigueur au Burundi), ce qui apparait comme une forme de contradiction avec l’exclusivité du champ d’application prévue à l’article 1er. Sans même évoquer ici le risque de contentieux lié à l’existence de dispositions contraires à la loi.

La question est donc posée, au moins d’un point de vue théorique, de savoir ce que sont devenues les dispositions en vigueur qui régissent certaines sûretés réelles. On peut citer, en particulier, les articles 112 et suivants du Code de commerce issus de la loi n°1/01 du 16 janvier 2015 (qui curieusement ne figure pas dans la liste des visas de la loi de 2016) qui portent, notamment, sur le nantissement des valeurs mobilières, du fonds de commerce, du matériel professionnel, et des stocks de marchandises, et qui sont par ailleurs très proches des dispositions de l’OHADA. Sauf à considérer que ces différents nantissements constitueraient des « gages » au sens de l’article 4 de cette loi qui définit le gage comme toute convention portant constitution en garantie « d’un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels ou incorporels ». Mais pareille interprétation conduirait de toute évidence à l’impasse, étant donné que ces différents gages ne peuvent être d’application en l’absence de dispositions spécifiques particulières applicables à chacun d’eux.

Il semble néanmoins que cette question ne se pose pas, en pratique, au moins avec les acteurs économiques locaux qui sont plus habitués aux prévisions du Code de commerce que de celles de la loi de 2016. Les différents régimes spéciaux de sûretés mobilières mentionnées ci-dessus continuent donc de s’appliquer, au moins en ce qui concerne le nantissement de fonds de commerce régi par le Code de commerce.

Au-delà de ces considérations, l’on peut noter que, si la distinction entre sûretés mobilières et sûretés immobilières n’est pas remise en cause, la loi de 2016 (article 4) n’établit aucune distinction selon que le bien grevé est corporel ou incorporel. Tous les biens meubles sont soumis au régime du gage, ce dernier étant désormais décliné entre, d’une part, le gage avec dépossession (réservé aux seuls meubles corporels) et, d’autre part, le gage sans dépossession, soumis à publicité et qui présente l’avantage de pouvoir porter sur un bien immatériel ou futur. Au passage, l’on peut noter la contradiction terminologique avec l’article 112 du Code de commerce qui définit le gage sans dépossession comme un « nantissement ».

Ce faisant, la loi de 2016 prend le parti de la réforme des sûretés opérée par le législateur belge, en 2014, plutôt que celui du législateur OHADA, ce dernier ayant jugé utile de créer deux familles au sein des sûretés mobilières à savoir d’un côté, le gage de meubles corporels et, de l’autre côté, le nantissement de meubles incorporels, afin de mieux tenir compte de la spécificité du statut juridique de ces derniers. La loi de 2016 s’inscrit également, de toute évidence, dans le souci d’harmonisation souhaité par la CNUDCI qui a adopté la même année un projet de loi type sur les sûretés mobilières.

Par ailleurs, bien que le choix ait porté sur une sûreté unique à tous les biens mobiliers, le législateur n’a pas ignoré la spécificité de certains biens incorporels pour lesquels le gage n’est pas totalement adapté. Il en est ainsi des créances, des comptes bancaires, des automobiles ou de la propriété intellectuelle qui font l’objet de dispositions spécifiques dérogatoires prévues aux articles 65 à 80 de la loi.

Si l’on se cantonne à une lecture stricte de la loi de 2016, l’on peut se demander si, en ce qui concerne certains types de biens incorporels (on pense ici à tous les actifs dématérialisés comme par exemple les actions des sociétés de capitaux), le recours au gage en tant que droit commun « exclusif » ne poserait pas de difficultés particulières (on a vu que la pratique au Burundi continue de recourir à certains régimes spéciaux du Code de commerce).

Lignes directrices et principales innovations de la réforme des sûretés réelles mobilières

Au titre des dispositions générales des articles 4 à 9, on retiendra le principe général du droit de suite du créancier gagiste (articles 5 et 20), la possibilité de consentir une sûreté en garantie d’une obligation future (article 6), la reconnaissance de la garantie consentie par un tiers (article 7), l’indivisibilité du gage (article 8) et enfin l’extension du gage à tout bien meuble qui viendrait à être rattaché physiquement au bien grevé initialement (article 9).

En ce qui concerne le statut des biens grevés, l’on notera le soin pris pour tenir compte de la spécificité des sûretés prises sur des choses fongibles (article 37) ou en transformation (articles 38 à 41).

A l’instar des autres réformes rappelées ci-dessus, le gage n’est plus un contrat réel, mais un contrat valablement constitué entre les parties par acte authentique ou sous seing privé, et la sûreté peut être rendue opposable soit par son inscription au Registre national des sûretés mobilières, qui conserve le droit du créancier gagiste sur le bien gagé pendant une période de cinq ans (article 20), soit par la dépossession du constituant entre les mains du créancier ou d’un tiers convenu (article 22). Il convient par ailleurs de noter que, s’agissant du gage de compte bancaire, il peut également être rendu opposable par l’obtention par le créancier garanti du contrôle du compte bancaire (article 76).

L’on sait que les sûretés sans dépossession ne sont pas sans risque pour le créancier, en particulier lorsque le bien grevé est vendu à un tiers, à son insu. Seule la reconnaissance d’un droit de suite est alors en mesure de le protéger. Aussi l’article 20 prévoit-il que « lorsque le gage a été régulièrement publié, les ayants cause à titre particulier du constituant ne peuvent pas être considérés comme des possesseurs de bonne foi, et le créancier gagiste peut exercer son droit de suite à leur encontre… ».

Par ailleurs, il faut noter que le créancier bénéficiaire d’un gage sans dépossession ne dispose pas d’un droit de rétention, contrairement au gagiste entré en possession du bien (article 36). En cas de procédure collective du constituant, le créancier devra subir la concurrence des créanciers bénéficiant d’un privilège supérieur au sien, conformément aux règles de distribution des deniers provenant de la réalisation des biens mobiliers en vigueur au Burundi.

Le législateur a prévu des dispositions transitoires permettant de régler la question des sûretés mobilières rendues opposables antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi (article 87). Les principes posés devraient permettre d’assurer une sécurité juridique pour les créanciers tout en prenant soin de ne pas aggraver la situation des débiteurs. En effet, d’après l’article 87 alinéa 2, « [l]orsque les conditions d’opposabilité prévues par la présente loi sont satisfaites avant que la sûreté cesse d’être opposable conformément à l’alinéa 1, l’opposabilité et le rang de la sûreté sont maintenus sauf s’ils sont défavorables au débiteur ».

Parmi les innovations de la loi de 2016, on peut citer celles qui concernent les modes de réalisation de la sûreté. En effet, au-delà de la reconnaissance du pacte commissoire (qui n’est toutefois permis que si le gage est consenti au profit d’une banque par un constituant professionnel (article 58)), la clause de voie parée est également ouverte avec la même restriction en ce qui concerne son bénéficiaire. Selon l’article 55 de la loi, le créancier gagiste peut en effet procéder à la vente de gré à gré du bien gagé, sans avoir à obtenir un titre exécutoire, à condition notamment que cela soit « de manière commercialement raisonnable » (selon l’expression retenue par le Code civil du Québec). Pour ce faire, le créancier a l’obligation de notifier le constituant, mais il n’est pas précisé, contrairement à la réforme intervenue en Mauritanie, qu’il est alors tenu d’indiquer le prix minimum auquel le créancier s’engage à vendre le bien, ce qui apparait comme une protection indispensable du constituant. D’ailleurs, le législateur mauritanien est allé plus loin en prévoyant que si le constituant conteste le prix de vente, la vente sera confiée à un huissier.

Enfin, la nouvelle loi prévoit quelques dispositions sur la réserve de propriété, ainsi définie à l’article 81 : « [l]a propriété d’un bien peut être retenue en garantie par un vendeur par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif du contrat de vente jusqu’à parfait paiement du prix par l’acquéreur ». À peine de nullité, la réserve de propriété est convenue par écrit, et son opposabilité aux tiers suppose qu’elle soit publiée au Registre national des sûretés mobilières. Si la légalité de la clause contractuelle n’a jamais fait débat, il était indispensable d’en assurer l’efficacité en cas de procédure collective de l’acquéreur, ce que permet la publication (article 83). Enfin, l’assimilation de la réserve de propriété à une sûreté permet au vendeur de la transmettre comme accessoire de la créance de prix en cas de cession de cette dernière.

Un bilan en demi-teinte de l'application de la loi de 2016

Près de huit ans après la promulgation de la loi de 2016, sa mise en application effective s’est heurtée à des obstacles liés à plusieurs facteurs dont les plus importants sont l’absence de textes d’application, la carence en ressources humaines qualifiées et matérielles, le faible recours au gage par les commerçants individuels et le peu de sécurité offert par le gage aux institutions bancaires de crédit.

En regroupant dans une même loi le gage sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, le souci du législateur était pourtant de réaliser, entre autres objectifs, l’accès des PME au financement bancaire, par le recours à des garanties autres que sur les immeubles et sur base d’une une loi unique, cohérente et claire.

De manière concrète, la pratique révèle que jusqu’à ce jour, le fonds de commerce demeure le principal gage usité et il est constitué quasi-exclusivement en faveur des banques et autres établissements de crédit, qui n’y recourent là aussi que pour « compléter » la panoplie de garanties, étant donné que son risque de diminution voire de disparition totale demeure assez élevé.

Les autres biens mobiliers comme les véhicules, les créances, les comptes bancaires, etc. font rarement l’objet de gage. Il en est de même des actifs financiers comme les actions et obligations des sociétés. Ils demeurent très peu utilisés comme actifs faisant l’objet de sûretés, sauf en faveur de la banque centrale du pays dans le cadre de ses opérations de refinancement en faveur des banques commerciales. Mais dans cette dernière hypothèse, leur régime échappe à l’application de la loi sous examen, en vertu des règlements édictés souverainement par la banque centrale.

En ce qui concerne l’enregistrement proprement dit du gage, les formalités suivies et les techniques d’enregistrement sont restées globalement les mêmes que sous l’empire des législations antérieures.

Les frais d’enregistrement du gage quant à eux sont insignifiants et le gage est enregistré manuellement dans un registre, de façon chronologique.

Enfin, l’autre constat est, que dans les cas rares de gage sans dépossession, le créancier gagiste victime du détournement du bien gagé (véhicules notamment) ne dispose d’aucune action autre que la demande en justice de droit commun et est donc obligé de se soumettre à la longue procédure devant les juridictions commerciales.

Conclusion

Ces quelques remarques ne donnent qu’un aperçu limité des dispositions de la loi de 2016, qui mériterait une étude plus approfondie ainsi qu’une mise en perspective avec le droit des procédures collectives.

Si l’ambition du législateur était, et demeure, louable, il reste que la pratique ne s’est pas pleinement appropriée cette loi, pour les raisons rappelées plus haut, ce qui ne permet pas d’affirmer que l’objectif d’unification du droit a été atteint.

Si le Burundi devait adhérer à l’OHADA, l’ensemble des actes uniformes existants entreraient dans son droit positif, en ce compris l’acte uniforme portant organisation des sûretés, dans sa version profondément révisée en 2011.

Pour mémoire, cet acte uniforme a réuni, au sein d’un même corpus législatif, l’ensemble des sûretés personnelles et réelles, aussi bien mobilières que immobilières, ce qui évite la fragmentation du droit des sûretés entre différentes sources.

Sans qu’il soit ici nécessaire, au terme de cet article, de porter un jugement global de valeur sur cette législation issue de l’OHADA, il est intéressant de rappeler que l’acte uniforme présente (entre autres) le double avantage, d’une part, d’être pleinement intégré à la culture et l’histoire juridique des pays membres de l’organisation (ce qui assure sa lisibilité) et, d’autre part, de constituer une  protection contre toute tentation intérieure ou extérieure de légiférer dans le domaine concerné pour des raisons conjoncturelles ou d’opportunité politique (ce qui assure sa stabilité – les actes uniformes de l’OHADA ayant une valeur normative supérieure aux lois nationales des États membres). Or, que l’on se place du point de vue des entreprises locales ou de celui des investisseurs internationaux, la recherche de crédit suppose d’être en mesure de consentir des sûretés, et à ce titre ces éléments (lisibilité et stabilité du droit applicable) contribuent à ajouter la sécurité recherchée par les créanciers.

 

 

Authored by Olivier Fille-Lambie, Alexandre Salem, and Augustin Mabushi.

 

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